Par Basile Keugoung, Joël Arthur Kiendrébéogo, Jean-Paul Dossou, Cheickna Toure & Bruno Meessen

On dit que l’information, c’est le pouvoir. La décentralisation dans nos systèmes de santé ne sera effective que lorsque les systèmes d’information sanitaire prendront réellement en compte les besoins et contraintes des acteurs décentralisés.  Dans ce billet de blog, nous vous présentons la thématique qui va occuper notre Communauté de Pratique Prestation des Services de Santé ces prochains mois. Ce programme de connaissance culminera avec un atelier qui se tiendra à Cotonou, Bénin, les 16-18 décembre 2015. Votre participation est déjà sollicitée.

 Depuis la Déclaration de Harare en 1987, le district sanitaire est la pierre angulaire des systèmes de santé en Afrique sub-saharienne. Beaucoup d’entre nous avons été ou sommes encore médecins-chefs de district. En tant que médecin-chef de district, on est confronté à plusieurs défis parmi lesquels la gestion des données sanitaires.

De façon traditionnelle, le distDSCI0449rict est le cœur d’un processus informationnel du haut vers le bas – des niveaux central et régional vers les districts et formations sanitaires – et de bas en haut – des formations sanitaires vers la hiérarchie. Ainsi, le niveau central définit les politiques, produit les directives, fixe les objectifs et les transmet au niveau district. Les formations sanitaires offrent des soins et services de santé aux populations et collectent les données y relatives qu’elles transmettent à la hiérarchie. Ce modèle qualifie le niveau central de niveau de prise de décision et le district de niveau opérationnel. Le district qui offre les soins transmet les données sanitaires au niveau central pour qu’il prenne des décisions informées. En pratique, dans beaucoup de pays, ce modèle induit à ignorer la place réelle de l’information sanitaire au sein du district.

 Les districts de santé à l’heure des technologies de l’information et de la communication

Comme rappelé à notre conférence de Dakar, beaucoup de choses ont changé depuis Harare. Des facilités technologiques ont apparu pour la collecte, le traitement et la transmission des données sanitaires. Nous citerons entre autres les ordinateurs, les smartphones, internet et toutes les applications numériques. Le délai nécessaire à la gestion de l’information sanitaire s’est fortement raccourci; le nombre de personnes ayant accès à l’information en temps réel pourrait être presqu’illimité.

Pourtant, beaucoup de districts de santé sont restés dans une logique administrative rigide où la seule donnée sanitaire qui compte est celle exigée par la hiérarchie. Trop d’équipes cadres de district se satisfont de ce modèle administratif et font un pauvre usage des données qu’elles rassemblent. Cet état de fait contribue à la faible participation des communautés à la prise en charge de leurs problèmes de santé, à une faible qualité des soins et une forte morbidité évitable.

Ce que nous avons affirmé à la Conférence de Dakar

En novembre 2013, à l’invitation de notre Communauté de pratique, plus de 170 experts de 20 délégations nationales se sont réunis à Dakar pour revisiter la politique du district sanitaire à l’occasion du 25e anniversaire de la Déclaration de Harare. Ils ont réitéré la validité du modèle d’organisation des systèmes de santé en districts et des valeurs qui le sous-tendent (équité, efficience et autonomie). Toutefois, ils ont proposé un renouvellement de cette stratégie au vu des changements contextuels apparus en Afrique sub-saharienne au cours des deux dernières décennies et de leurs implications. Par exemple, les équipes cadres de district ne devraient plus être considérées comme de simples représentants du ministère de la santé au sein du district, mais devenir l’organisme central de conduite et de coordination des activités de santé au niveau local.

Les participants ont recommandé que le Ministère de la santé et ses partenaires aident les districts à devenir des organisations apprenantes. Il s’agit pour les équipes cadres de district d’écouter les populations, de respecter leur autonomie, de recueillir des informations qualitatives et quantitatives sur leurs besoins sanitaires et d’identifier les interventions idoines pour y répondre. Elles doivent également recueillir des données sur les performances des différentes composantes du système local de santé et sur les déterminants qui affectent cette performance. Toutes ces informations doivent être analysées et partagées de façon aisément interprétable et ‘actionnable’ par tous les acteurs : du ménage au gynécologue en charge de la maternité, en passant par le maire et les comités de santé.

Perspective : un atelier à Cotonou en décembre 2015

Notre analyse est que les TIC vont permettre de ‘secouer fortement le cocotier’ : grâce à elles, il est désormais possible de transférer la gestion d’une information de qualité aux acteurs les plus décentralisés et de les ‘capaciter’ dans leur prise de décision. Nous pensons aussi que tout le changement ne viendra pas d’en haut. C’est aussi aux acteurs périphériques de s’organiser et de conduire cet agenda.

Dans les semaines qui viennent, nous allons vous inviter à réfléchir avec nous sur ces enjeux. Nous compterons sur vos nombreuses contributions. Ce processus culminera avec un atelier en décembre 2015 à Cotonou. Le thème de l’atelier est : « Du système d’information sanitaire à l’intelligence collective, recentrer le district sanitaire sur la population grâce aux TICs ».

Cet atelier fera le point des systèmes d’information sanitaire traditionnels pour analyser pourquoi ils n’ont pas réussi à traduire les valeurs prônées par la Déclaration de Harare. Ensuite, il s’agira de passer en revue des expériences innovantes actuelles d’utilisation des TIC testées en Afrique. Enfin, il faudrait scruter le futur pour proposer des modèles permettant de développer l’intelligence collective au niveau du système local de santé.

Une dizaine d’experts ont collaboré pour rédiger une note conceptuelle draft présentant cet atelier. Nous vous invitons vivement à lire cette note en cliquant sur le lien précédent. Elle va servir de boussole pour nos activités ces prochains mois. Vos réactions, critiques et commentaires sont les bienvenus. Nous sommes particulièrement curieux d’entendre tous ceux d’entre vous actifs au quotidien au niveau décentralisé, en particulier les médecins-chefs de district.

Que dois-je faire pour participer à ce processus ?

DSCI0503Dans les semaines qui viennent, nous publierons plusieurs blogs relatifs à ce programme de connaissance. Nous espérons qu’ils susciteront vos réactions et contributions. Nous faisons aussi un appel à tous ceux d’entre vous directement impliqués dans la mise en place de solutions technologiques originales dans la gestion des districts de santé. Vous êtes directeur d’un hôpital et avez une expérience riche avec une solution TIC ? Vous faites partie d’une équipe de district qui fait un usage intensif de son système d’information sanitaire ou des TICs ? Vous travaillez pour une ONG ou une startup qui a développé une solution originale ? Envoyez-nous (à keugoung@gmail.com) une présentation PowerPoint de 15 diapos maximum présentant votre expérience. Un comité d’experts les examinera et identifiera celles méritant d’être largement partagées. Les experts avec les expériences les plus intéressantes seront invités à l’atelier de Cotonou.

6 Responses to Du système d’information sanitaire à l’intelligence collective : un agenda pour des systèmes locaux de santé apprenants

  1. Nimer says:

    Certainement une initiative qui mérite toute notre attention. En plus du problème de promptitude et complétude la qualité de l’information récoltée est parfois si mauvaise que cela nous empêche de l’utiliser pour les prises de décision soitcliniques soit de planification programmatique. Un autre défis est l’intégration effective des indicateurs de programmes de santé avec le SIS du pays. Nous avons certainement des expériences dans les 14 pays où Action Damien travaille à partager. Nimer

  2. Yannick Gael KAZADI ILUNGA says:

    A plus. Bonne reflexion

  3. Renée says:

    Chers tous!
    très bon sujet. Je pense aussi, en tant que organisation apprenante, avec l’utilisation des TIC, le district devrait être capable de générer assez aisément et rapidement des données, les analyser afin d’identifier un problème et partant mener de la recherche opérationnelle pour tenter de les comprendre.
    Il faudrait donc intégrer ce volet de recherche, que l’utilisation des TIC pourrait faciliter.

    Merci

  4. Moise Tuho says:

    Chers tous,
    Dans notre experience, le systeme national d’information sanitaire est confronte a des problemes dont l’adequation entre besoin d’informations des programmes de sante verticaux finances par les partenaires avec leurs besoins specifiques de collecte de routine et les besoins classiques du systeme de sante. Dans la plupart des cas la multiplicite des outils a renseigner et la faible culture de l’information de certains acteurs sont a la base de la faible completude et de la faible promptitude. Ces elements concourrent a des donnees de faible qualite et qui parfois ne peuvent pas etre utilise pour la prise de decision.
    Cet atelier vient a point pour enfin adresser de facon quasi exhaustive les problemes du SNIS et les pistes de solution.
    Merci

  5. LAFIA Edgard says:

    Bonjour,
    Félicitations pour votre expertise dans l’accompagnement de nos pays à booster la performance des systèmes de santé. Nul doute que nous avons encore du chemin à faire en vue d’une meilleure satisfaction des besoins des populations. En guise de contribution aux questions soulevées dans la note méthodologique, je propose que nous profitions de ces assises pour accentuer le plaidoyer en direction des povoirs publics en vue d’une meilleure disponibilité des TIC (accessibilité à l’internet essentiellement). Nous pourrons ainsi améliorer l’intérêt des acteurs de santé du niveau périphérique dans l’usage des nouveaux outils visant à faciliter la collecte et l’analyse des données. Bon courage à tous.

  6. Marcel D. KOUNNOU says:

    Félicitation pour la mise en épingle de cette problématique très pertinente et d’actualité. En effet, nos zones sanitaires ne doivent plus être considérées comme simplement des unités d’offres des soins et de collecte des données classiquement formatées depuis le niveau stratégique. Elles doivent plutôt être des centres d’analyse et de croisement des réalités contextuelles versus les données sanitaires collectées pour des prises de décisions rationnelle capables d’influer significativement l’amélioration de la qualité de vie des populations en charge. Toutefois, en dehors des outils informatiques, il faut un renforcement en ressources humaines et leur capacitation. Je serai certainement de la partie. Merci à tous!!!

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *