Eric de Roodenbeke, PhD, Chief Executive Officer, International Hospital Federation
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L’hôpital de district joue un rôle clé dans le système de santé de district. A la Conférence de Dakar sur le district de santé, nous n’avons fait qu’entamer la réflexion sur la problématique de l’hôpital de district. Eric de Roodenbeke, directeur de la Fédération Internationale des Hôpitaux et observateur attentif de la transformation des hôpitaux en Afrique répond aux questions de Basile Keugoung.
Comment appréciez-vous la place des hôpitaux de district dans le modèle du district de santé ?
Le modèle de district est le cœur de l’organisation mais je crois qu’aujourd’hui il y a nécessité de faire évoluer ce modèle. Il y a déjà plus de vingt ans que la discussion a été engagée sur les spécificités respectives de la santé urbaine et de la santé rurale. La problématique du modèle de district est liée à l’évolution de cette problématique de la santé urbaine et rurale. Le modèle traditionnel pour le district est parfaitement adapté à la logique rurale. C’est-à-dire à des endroits à faible densité de la population caractérisés par un territoire et des interactions spécifiques entre des gens sur ce territoire. De plus en plus, l’Afrique va être urbanisée, en 2050 entre 60-70% de la population sera urbaine et de plus en plus dans des mégalopoles.
Et le système de santé tel qu’il est conçu au travers du district ne répond pas bien à la problématique d’une population très dense dans un espace et qui a des possibilités de multiples alternatives de recours aux soins sans être confinée à une géographie de proximité. Or le district est assez lié à cette géographie.
Comme cela a été recommandé à nouveau à Dakar, la réalité urbaine ne peut plus être mise de côté dans notre réflexion sur les systèmes locaux de santé car cette réalité est en passe de devenir la situation dominante et il faudrait que l’on se prépare à l’avenir plutôt que de répondre aux défis passés.
Comment pourrait-on adapter le modèle du district pour qu’il réponde de façon efficace aux différents changements et aux besoins des populations urbaines ?
Il faut probablement passer d’un modèle qui est assez rigide dans sa forme conceptuelle (parce qu’on dit ‘il faut tel type de services pour tel nombre d’habitants et pour tel type de population, tel type de programmes et de paquets d’activités…) à un système beaucoup plus ouvert, basé sur un certain nombre d’objectifs ou de résultats à atteindre tout en acceptant une grande souplesse sur les modalités d’organisation.
Il faut donc tolérer qu’il y ait plusieurs façons pour atteindre ces résultats et ces objectifs et donc considérer normal une variété de systèmes avec les mêmes objectifs. Le modèle de district a eu une tendance (même si les choses évoluent) à être un système normatif donnant une grande importance aux modalités d’organisation de la réponse : dans un pays on avait les mêmes hypothèses, les mêmes réponses et on produisait la même chose. La réalité ne rentre plus dans cette grille. Actuellement le secteur privé, est en plein développement en zones urbaines. Cela ne remet pas en question la responsabilité des pouvoirs publics pour définir les objectifs de santé publique pour la population. Mais le modèle serait donc plus ouvert avec recours par exemple à la contractualisation avec des acteurs de toute nature afin de mettre en place l’ensemble des services de santé alignés sur des finalités publiques (qualité, accès, nature de soins, etc…) et permettant d’atteindre les objectifs fixés.
Voyez-vous d’autres enjeux en termes de cette relation entre couverture des besoins et plan de couverture ?
Certainement. Dans mes fonctions précédentes (à la Coopération Française et à la Banque Mondiale), il m’arrivait de faire des négociations avec les pouvoirs publics, et de soulever leur lecture bien trop rigide du plan de couverture. C’est ridicule de construire un hôpital de district à côté d’un hôpital régional, juste parce dans le schéma national on a prévu un hôpital de district par district et un hôpital de région par région. Même dans les pays qui ont beaucoup de ressources, on n’a pas les moyens de faire ces mille-feuilles. Prenez l’exemple de la Suisse, de la France ou de l’Allemagne: quand vous avez un Centre Hospitalier Universitaire (CHU), il assure toutes les fonctions de la pyramide sanitaire en particulier les soins de première référence (au-delà de ce qui est assurée par la médecine de famille). Après c’est une question d’organisation fonctionnelle pour éviter que les services spécialisés ne soient encombrés par des cas simples. Au sein d’une même structure, on peut créer des espaces et des services spécifiques pour recevoir des cas relevant de chacun des niveaux de soins et bien sûr des filières s’appuyant sur des protocoles de soins.
Cette stratégie est déjà présente en Afrique. Je pense par exemple, au Ghana. Il y a déjà 15 ans le CHU de Koumassi avait une très grande unité, situé à l’avant de l’établissement, qui assurait les consultations générales, les urgences et les observations et un peu d’hospitalisation de courte durée. Ce service était en fin de compte comme un hôpital de district qui ‘filtrait’ les patients afin que les services spécialisés du CHU, qui se trouvaient sur le même site, mais dans un autre bâtiment, ne soient pas encombrés par des cas qui ne relèvent pas des soins de référence secondaire ou tertiaire.
Dans le modèle du district, on parle du système de référence contre référence où la porte d’entrée doit être le centre de santé. Si je vous comprends bien, est-ce qu’on doit organiser les hôpitaux de telle manière qu’au sein de l’hôpital, on ait aussi des services de première ligne ?
Oui, car il faut qu’il y ait des portes d’entrée. Mais il faut surtout être pragmatique. Lorsque l’on part de rien, c’est rationnel de concentrer dans l’hôpital de district les fonctions de premier recours et non pas celles de première ligne ; on a alors l’échelonnement proposé par le plan du district. Mais en réalité, on fait face à une situation dont on doit en tenir compte. C’est pour cela qu’il faut d’abord formuler des objectifs avant de voir qui peut y répondre au mieux en tenant compte du contexte local, des opportunités et des contraintes. Les schémas régionaux qui ont été développés en France ont été faits selon cette approche dynamique. C’est-à-dire, on prend un territoire, on s’appuie sur les moyens de communication, les acteurs existants, les besoins prioritaires de santé et les priorités établies par les pouvoirs publics et on voit qui assure quoi, où est-ce qu’il y a des trous dans le maillage, qu’est-ce qui est plus ou moins bien réalisé et quelles sont les évolutions prioritaires. En bref, la réponse organisationnelle ne sera pas la même d’un endroit à l’autre. Les concepteurs des systèmes de santé doivent donc se méfier des plans stéréotypés, ils ont la séduction de la simplicité, mais ils sont le plus souvent en décalage avec la réalité, qui est complexe.
La conférence de Dakar a bien identifié le défi : cette complexité appelle de nouvelles capacités au niveau décentralisé : il ne s’agit plus désormais de reproduire la même stratégie d’un territoire à l’autre. On rentre dans un nouveau paradigme. L’Afrique évolue à une très grande vitesse. On est arrivé à un moment où les acteurs de la santé doivent complètement revoir leur façon d’aborder les réponses organisationnelles aux besoins de santé.
Quels sont les défis sur cette question des capacités au niveau décentralisé ?
On touche au point très sensible de la gouvernance. Dans tous les pays africains, il y a désormais des lois de décentralisation ; elles n’ont pas encore donné les fruits escomptés, notamment du fait que les acteurs locaux n’avaient pas toutes les capacités techniques. Lorsqu’on décentralise, il faut s’assurer de la compétence en administration et gestion ainsi que du pouvoir des populations.
Les pays scandinaves ou le Canada (un très grand territoire avec de larges espaces peu dense), sont de bons exemples de décentralisation. En Afrique aussi, on va tendre vers un modèle où l’Etat central aura pour rôle de définir les objectifs de santé publique et le minimum nécessaire pour tous, et devra mettre en place des mécanismes de péréquation entre les régions riches et pauvres (pour que le citoyen soit garanti d’un minimum en termes d’accès aux services de santé), mais ce sera ensuite aux gouvernements et acteurs locaux d’assurer la mise en œuvre de la couverture des soins. Mais pour cela on ne peut pas faire l’impasse sur la construction de leurs capacités techniques. Il faudra également bien sûr des mécanismes locaux de redevabilité : sans elle, la décentralisation n’a pas de sens.
On constate dans certains pays qu’au lieu de cette réorganisation, on assiste de plus en plus à la fragmentation du territoire en districts. Si on prend les pays que vous avez cités ce sont les acteurs locaux qui impulsent le changement. Est-ce que le défi à l’ordre central pourrait arriver des régions ou des districts en Afrique sub-saharienne?
La conférence de Dakar a bien capté les changements contextuels. Il y a un accroissement de l’éducation des personnes combiné à un accès à l’information via notamment internet : les populations seront de moins en moins soumises. Elles vont être de plus en plus exigeantes et la nature des dynamiques sociales va influencer fortement le futur.
Répondre à l’évolution des dynamiques sociales n’est pas facile. Au Mali, les centres de santé communautaires au départ, reposaient sur l’initiative locale des populations. Une évaluation conduite par la Banque Mondiale a montré que la montée à l’échelle n’avait pas atteint ses objectifs. En effet la dynamique a été ‘capturée’ par l’appareil d’Etat qui en a fait une stratégie. Le Résultat : la dynamique sociale et le contrôle par les communautés ont disparu.
La responsabilité des pouvoirs publics c’est de favoriser l’expression de la dynamique sociale quand celle-ci est profitable aux populations, d’y suppléer seulement lorsque cette dynamique manque mais surtout pas de vouloir mettre en place une dynamique sociale factice.
Le nouveau paradigme pour la conduite des systèmes locaux de santé est assez subtil. Les nouveaux leaders de ces systèmes locaux de santé devront pouvoir combiner une vision claire des objectifs avec une bonne lecture des opportunités et dynamiques locales, une capacité à construire des alliances avec les acteurs en place et une maîtrise dans l’art de naviguer parmi les contraintes externes.
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Beaucoup d’élements que je partage avec ces analyses. Comment aller à ces changements/réadaptations ? Comment renforcer la société civile pour qu’elle influence les stratégies nationales ? Voilà mes points d’intérêt sur le sujet.